mercredi 23 novembre 2011

Le carré rouge



Suivre ou non la parade? C’est la question que je me suis posé le 10 novembre dernier lors de la manifestation des étudiants contre la hausse des frais de scolarité. En cette ère où il est de bon ton de s’indigner et de vaquer à des occupations de contestation, dont je suis généralement d’une accointance morale, la grève illimité probable des étudiants l’hiver prochain soulève chez-moi un questionnement. Moi qui suis passé par l’université (et qui y suis encore à temps partiel) et qui est satisfait de ses conditions de travail, je me demande si je devrais me préoccuper du statu-quo demandé par les étudiants québécois. Voyons ce qui me pousse à me questionner, si j’utilise l’argumentaire et la froideur des chiffres soulevés par ceux qui sont du côté de la hausse des frais.



Premièrement, la ministre Beauchamp demande de faire passer de 72.26$/crédits de cours à 83.09$/crédits de cours pour la première année. Une augmentation d’environ 13% par année. Ainsi, quelqu’un qui a 10 cours à son horaire chaque année verra sa facture augmenter de 325$ par rapport à l’année précédente, sans compter l’indexation aux autres frais tels associations étudiantes et effets scolaires. L’augmentation du coût de la vie d’environ 2% par année n’entre pas non plus dans ma réflexion. Or, si l’on prend simplement la logique si populaire dans le commerce, ça fait moins d’un dollars par jours pour améliorer un tant soit peu le système universitaire au Québec. Et si je pousse un peu plus la réflexion démagogique s’apparentant aux radio-poubelles, ça fait un peu moins de deux consommations à 4$ à enlever des « partys » hebdomadaires pour compenser cette augmentation. Ce n’est pas si mal au fond.

Mais de façon plus pragmatique, c’est un montant de 1625$ que l’étudiant à temps plein devra absorber à la fin de son baccalauréat (je ne mentionne pas les grades supérieurs). Est-ce la fin du monde lorsqu’on pense que la moyenne d’endettement moyen d’un bachelier est de 14000$ à la fin de ses études au Québec? Non, ce n’est pas la fin du monde. Or, on entend aussi que l’on peut prévoir qu’un universitaire finira par retirer des bénéfices non-négligeables du côté salarial à cause de son grade. Or, c’est justement ce discours très à droite qui me fait croire que les étudiants à temps pleins ont raison de s’inquiéter de l’avenir. Car cette rhétorique ne s’applique pas à tous. Elle s’applique plus aux médecins, avocats, ingénieurs ou aux finissants en finance entre autres. Je ne pourrais affirmer la même chose pour ceux qui font un BAC en art ou même en soins infirmiers avec leurs conditions de travail exécrables. Et ne venez pas me dire que ce ne sont pas des domaines pertinents en 2011. Sans cautionner la demande de certains groupuscules pour une gratuité scolaire complète, me voici avec une envie forte de m’associer au mouvement. Pourquoi? Parce que les tenants de l’augmentation des frais se servent de fausses raisons pour promouvoir cette augmentation et lentement instaurer une pensé de droite dangeureuse pour la société à long terme; Parce que leur argumentation s’apparente aussi à de la propagande idéologique. Or, voici une petite déconstruction gentille de cette idéologie :

Lorsqu’on me dit que les étudiants universitaires gagneront plus que ceux qui n’y sont pas allés.
Comment peut-on aussi facilement comparer un enseignant au primaire avec ses 35 élèves par classe, une infirmière en chef au bord de la dépression, un psy de garde sous payé dans un CLSC, un journaliste pigiste qui court après sa queue ou même un artiste en musique expérimentale face à un soudeur qui travail de 7 à 4 et qui gagne une « fortune » en over-time à Malartic ou avec un technicien biomédical bardé d’assurances dans une grande entreprise privée. L’argument du gouvernement en ce qui concerne les salaires ne tient pas la route pour une bonne partie des domaines universitaires. Or, ce n’est plus l’argent qui compte le plus aujourd’hui pour les travailleurs, mais les conditions de travail et la flexibilité de l’employeur. L'université est aussi un endroit de génération d'idées, pas juste une machine à cash. Comme société, il est non-négligeable de tenir compte de la créativité qui bouillone en ces murs, sans nécéssairement avoir absolument comme résultat un effet économique immédiat. La créativité se paye aussi et il serait insjuste d'en limiter les frais aux étudiants seulement.

Lorsqu’on me dit que les coûts universitaires sont beaucoup moins élevés au Québec que dans les autres provinces du Canada.
Encore une fois, il est facile de constater que dans la plupart des cas, les charges fiscales ainsi que les salaires du « Rest Of Canada » sont plus avantageux que ceux du Québec, particulièrement en Ontario, d’où un exode des cerveaux de certain domaines vers ces cieux plus cléments pour leurs portefeuilles. Par ailleurs, une baisse des frais de scolarité est prévue l’an prochain en Ontario… Cette décision est justement fondée sur les problèmes d’accessibilité pour tous qui faisait défaut dans cette province. Encore -1 point pour le ministère de l’éducation.

Lorsqu’on me dit que les prêts et bourses seront majorés.
Je tique encore plus ici, car quelqu’un provenant d’un foyer gagnant plus de 60000$ en revenu familial par an ou un étudiant qui travaille 25 heures par semaine justement pour subvenir à ses propres besoins ne pourra pas automatiquement bénéficier de bourses. Donc, les prêts sont le seuls recours de cet étudiant. Et qui dit prêt, dit endettement. Et qui dit endettement universitaire veut aussi dire qu’une fois le prêt des études supérieure remboursé et les 4 années minimum d’études de plus que son voisin diplômé du CÉGEP, l'étudiant universitaire constatera que son cégepien de voisin aura de beaucoup avancé son remboursement d’hypothèque et aura peut-être même déjà son ti-bateau ou son chalet dans le nord à se la couler douce durant les fins de semaines. J’avoue que c’est un commentaire générique. Mais dans un système qui mesure justement sa santé financière collective par la consommation de ses habitants, c’est une donnée non négligeable. Ainsi, il en faudra du temps à l’étudiant universitaire pour rattraper le rythme de vie de son voisin à cause de ses études avancées… c’est en tout cas ce qui m’est arrivé. Et ça m’a pris au moins dix ans pour réussir à me sortir du mode rattrapage.

Et qu’en est-t-il des gestionnaires universitaires, des investisseurs du privé et de la population?
Avant d’imposer cette augmentation aux étudiants, ces derniers sont en droit de demander un resserrement de la gestion des universités avant un resserrement du gousset "estudiantin". Nous n’avons qu’à penser au fiasco de l’Îlot Voyageur de L’UQAM pour craindre le pire à cet égard. De plus, une collaboration du secteur privé dans la recherche et le développement d’application réelle pour l’industrie devrait être revue et améliorée. Une collaboration étroite avec le secteur privé est positif pour l’étudiant et l’institution à court et long terme. Pour ce qui est de la population, elle en est à la croisée des chemins. Est-elle bien au fait de ce qui se trame pour l'avenir du Québec au sujet de l'éducation supérieure? Et serait-elle d'accord qu'on augmente aussi de 1 $ par jours sa contribution dans notre système d'éducation universitaire?


En conclusion, en dehors du fait qu’on ne peut nier la décrépitude de nos universités (labo, matériel, immobilier et qualité des services), il reste trop de sujets à débattre pour seulement faire porter le fardeau de la hausse des coûts universitaire aux étudiant seuls. Même si 1625$ sur cinq ans est relativement peu, accepter sans broncher cette hausse donne aussi un signal de faiblesse face à cette montée de l'idéologie de droite au Québec. Cela ne peut être ignoré. Les revendications des étudiants sont légitimes et demande à tout le moins au gouvernement de refaire ses devoirs et d’exposer à la clientèle universitaire ce qu’elle entend faire pour contrebalancer l’effort supplémentaire qu’on leur demande. Dire que le Québec paye moins cher que toutes les autres provinces est un argument purement politique et ne sert pas notre façon de voir l’éducation qui est différente du ROC. Or, il faut surtout tenter de garder l’accès aux études supérieures disponible pour tous, même aux petits génies provenant des milieux pauvre. Finalement, si les nouvelles mesures du gouvernement venaient à être appliquées, il ne me reste qu’à suggérer aux étudiants de bien réfléchir avant de poursuivre des études de plus haut niveau. Car la passion de ce que l’on fait comme métier ne sera probablement que le seul salut contre tout l’endettement accumulé et une économie nord-américaine qui ne va pas en s’améliorant. Si votre choix de carrière finit par vous déplaire, cette surcharge de coût vous fera doublement mal.


Or, le débat ne fait que commencer. Mon carré rouge (symbole de la contestation étudiante) est peut être pâlot, mais j’embarque tout de même dans la parade avec les étudiants. Il en va de l’avenir de mes enfants aussi.


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Liens intéressants :

Pour rire un peu :
http://sportnographe.radio-canada.ca/paul-et-la-hausse-des-frais-de-scolarite-17580.html

Pour pleurer un peu :
http://www.ledevoir.com/societe/education/336256/droits-de-scolarite-un-petit-carre-rouge-sur-ma-toge

Pour connaître les chiffres de la partie gouvernementale :
http://www.mels.gouv.qc.ca/enseignementsuperieur/droitsscolarite/index.asp?page=cout


Source de la photo: http://dolarnsarkan.blogspace.fr/



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